OU (BIEN) VIVRE DANS LE NOIR... En prenant prétexte de "La lettre aux aveugles à l'usage de ceux qui voient", écrite par Denis Diderot en 1748, Pascal Parsat nous propose une exploration de nos sens dans l'obscurité totale, pendant que deux comédiens discourent, mangent et boivent. La salle est plongée dans le noir absolu. Les spectateurs sont conduits à leur place, rang après rang, ils se suivent en se tenant l'un l'autre et deviennent solidaires et responsables du même voyage vers des gradins signalés par de minuscules diodes rouges. Il fait frais, une agréable odeur flotte dans l'espace. Le silence est profond, la qualité d'écoute du public exceptionnelle. Nous assistons à la redécouverte, par Diderot et sa servante Lison (personnage imaginaire) de leur univers familier dans le bureau du philosophe. Leur dialogue est agrémenté, souligné par des senteurs de vanille, chocolat, pomme, cuir, etc. Cet univers différent devient le catalyseur des sens de Lison et de la sensualité de Diderot. Enivrée d'odeurs, grisée par ce qu'elle mange et boit, la jeune fille révèle à son maître l'amour qu'elle lui porte... Ainsi les protagonistes sont-ils, en bons français, rapprochés par le cul et la bouffe ! Quant au contenu politique de la lettre aux Aveugles, il reste en arrière-plan jusqu'à l'annonce finale de l'arrestation de Denis Diderot au lendemain de l'action. Le propos est là axé sur l'univers et sa perception par les gens, aveugles ou pas. Un voyage envoûtant, un grand plaisir, un moment de pur bonheur ! ![]() Colin-Maillard sera représenté du 15 octobre au 22 décembre 1999 à la Cité des Arts, 18 rue de l'Hôtel de Ville à Paris (4e arrondissement, M° Saint-Paul ou Pont-Marie). Renseignements et réservations: 01.43.45.33.71 ![]() Nous avons demandé à Pascal Parsat, auteur et interprète, d'expliquer sa démarche en créant ce spectacle. LPHI : Pascal Parsat : Au-delà du procédé, je souhaite faire appréhender l'espace aux spectateurs. Et créer une solidarité entre eux, alors qu'ils ne se connaissent pas ; si le contact est rompu lors de la traversée de la salle ou de la montée vers les gradins, la personne est perdue. Le noir à un côté infantilisant, et il provoque l'endormissement, telle une réminiscence de l'enfance. Il génère aussi une grande qualité de silence, parce que le moindre son porte haut. LPHI : Vous jouez ici avec le noir et le silence mais vous et votre comparse Stéphanie Sauthon restez invisibles au salut final. Pour quelles raisons ? P P : C'est une démarche absolue, personne ne vient saluer à la fin, les spectateurs ne doivent pas savoir qui joue, ne doivent pas connaître l'apparence physique des comédiens. Au final, la lumière est allumée pour que nos "voyageurs" puissent comparer la réalité visuelle des lieux avec la représentation qu'ils ont mentalement bâtie. Elle met fin à l'aventure. A l'origine, je cherchais à monter un spectacle sur les auteurs maudits, jusqu'à cette rencontre avec la "Lettre sur les Aveugles" de Denis Diderot. Il y a là un discours qui, au-delà de la cécité physique, nous parle de la cécité intellectuelle. LPHI : Un sac contenant l'édition audio de l'hebdo "L'Événement du Jeudi", ainsi qu'un numéro de "l'Agrandi" et un document de Rétina France, est remis aux spectateurs. La plupart d'entre eux auront ainsi découvert que la presse pouvait être lue par les aveugles, mais quelle est votre intention en donnant ces revues ? P P : C'est une action de solidarité. Un programme en Braille était aussi prévu mais n'a pas été réalisé à temps par l'association à laquelle nous l'avions commandé. Des aveugles ont aussi assisté aux représentations. Dans mon travail, il n'y a pas de revendication, je ne milite pas pour une cause. Certains malvoyants ne trouvent pas d'intérêt à ce spectacle ; ils restent murés dans l'attente, l'aigreur, le manque d'ouverture d'esprit. Certaines familles ont réagi négativement : "la cécité, ce n'est pas du théâtre". LPHI : En vous écoutant, on pourrait croire que les gens n'apprécient pas qu'on mette en scène le handicap qu'ils vivent au quotidien... P P : En fait, ces gens-là ne sont pas malheureux du tout. Ils sont simplement prisonniers du misérabilisme des associations. La cécité est vécue comme une tare par beaucoup de leurs responsables ; c'est ce que j'ai ressenti en discutant avec eux. Et les jeunes ne se reconnaissent pas dans les organisations d'aveugles et malvoyants. Les parents sont seuls et démunis, il y a un véritable travail d'éducation à faire. Quand aux malvoyants, ils ne veulent pas être considérés comme des aveugles. Il faut reprendre le dialogue avec eux et la pièce peut servir de révélateur, de précurseur pour la famille et les amis: "maintenant que vous avez vécu cette situation, vous savez ce que c'est qu'être aveugle". LPHI : Colin Maillard "vivra-t-il" après Avignon ? P P : Les réactions du public avignonnais ont été bonnes et le spectacle part en tournée. J'ai aussi en projet la création à Paris de la première salle de spectacle consacrée à "la différence": beauté, intelligence, sensibilité, handicaps... Ce que je revendique, c'est le droit à l'indifférence. La genèse du spectacle a été pénible : travailler dans le noir est très difficile, et je garde le souvenir de chutes douloureuses; je me suis souvent senti handicapé ! Compagnie Regard'en France à Paris. |