L'Handinaute voyage... en Avignon Off 2000 !
Le tourisme est-il soluble dans l'accessibilité ?...

AVIGNON OFF 2000

Image :  Un escargot de rues à la mode avignonaise...

Le Festival Off d'Avignon est toujours un grand moment de convivialité, d'échanges directs avec des comédiens et des metteurs en scène, de confrontation d'expériences théâtrales, de scènes de rues amusantes (ou énervantes !). Parmi la dizaine de spectacles évoquant le handicap, voici ceux que nous avons vus pour vous...

Image :  les protagonistes de 'Souris souris-rat'


Souris souris-rat : une heure de poésie pure. C'est par les marionnettes que s'expriment Régine Paquet et Max Leblanc. Dans une salle obscure, ils manipulent une souris amputée d'une patte arrière, qui s'est construit dans une décharge publique un quotidien "adapté", et un gros rat lourdaud qui viendra tout chambouler. Ces deux personnages apprendront à se connaître, à s'entraider et partiront ensemble à la découverte du reste du monde quand la tempête détruira leur tanière douillette. La souris y gagnera, après d'épiques expérimentations, une prothèse qui palliera son amputation. L'action, sans parole, est accompagnée d'une musique expressive. Les marionnettes sont manipulés avec virtuosité et une grande vérité, suscitant des réactions de la part des enfants : "est- ce que c'est une vraie souris, pourquoi elle a pas sa patte ?". Mais on aurait tort de réduire ce spectacle aux seuls enfants et à leur sensibilisation au handicap. C'est à tous que s'adressent la beauté plastique, l'intelligence des situations et la finesse du discours théâtral. Théâtre Exobus, Sandillon (Loiret).

Monsieur Butterfly. A l'origine, il s'agit d'un roman écrit par Howard Buten, psychothérapeute auteur notamment de "Quand j'avais cinq ans, je m'ai tué". Cette adaptation théâtrale nous aura laissé une impression d'inaboutissement. L'argument : un clown fatigué, Howard Sears, décide de répondre à l'appel des autorités sanitaires qui proposent aux gens d'héberger, moyennant finances, des enfants handicapés dépendants. L'amour rattrapera le clown défroqué au galop. Les enfants sont représentés par des marionnettes : Ralph est un trisomique à la tête faite de serpillière, Mickey le schizophrène est en papier journal, Tina l'intelligente en fauteuil roulant est un boa cernant un sucrier de bistrot, Harold que dix ans d'asile ont rendu fou est une guitare à baguettes. Cet artifice de mise en scène fonctionne à fond. Manipulées par Sears, elles ont une force expressive impressionnante. C'est bien là que réside la réussite de la mise en scène de Georges Vérin. Pour le reste, la charge contre les institutions et l'enfermement psychiatrique est violente, manichéenne. Même si au final le clown Howard Sears laisse partir "ses" enfants vers d'autres thérapeutes. Il aura au moins essayé. Théâtre de la Manicle, Le Havre (Seine- Maritime)

Image : Bruno Netter et Monica Companys sont sur un trottoir ! Photo : Photo Lot, Laurencine Lot, Paris.


Chlore et Froissements de nuit. Les deux pièces, dont l'action s'enchaîne, sont venues in extremis en Avignon et pour notre plus grand plaisir. Bruno Netter et Monica Companys nous présentent la mésaventure d'un garçonnet aveugle et de sa copine de classe sourde, enfermés dans les locaux de la piscine municipale. Autour d'un petit bassin, entourés par les spectateurs, ils nous content cette confrontation, la découverte mutuelle de leurs handicaps, la recherche de la complémentarité pour surmonter l'obstacle - qui va chercher un numéro de téléphone, qui va téléphoner - et trouver la porte de sortie. Cette rencontre se poursuit par le retour vers la maison du garçon en compagnie de la fillette, avec une escapade bucolique... et ce qui devait arriver : le bisou final ! Monica Companys, comédienne oralisée, signe ses textes et parfois ceux de son partenaire. On peut regretter un jeu parfois excessif. Bruno Netter a su introduire une dimension poétique à son personnage, tout en nuances et sensibilité. Ce spectacle rafraîchissant nous dit sobrement que les handicaps sont surmontables avec un peu d'effort et de compréhension mutuels. A l'image de ce que devrait être la vie... Compagnie du 3e oeil et association FormaSignes, Angers- Paris.

La stratégie de la taupe. Dans une aire délimitée par un matelassage et des boudins caoutchoutés, trois danseurs aveuglés s'expriment, se rencontrent et s'apprivoisent. L'ambiance est étrange : le sol est couvert d'un épais matériau plastique divisé en carrés, le centre est marqué d'une ligne en relief. Sur cette surface, les danseurs dont les yeux sont obturés par de l'adhésif vont trouver leurs repères, sortir pour de leur solo- solitude pour danser ensemble sur une musique de Stockhausen. Et un couple se formera, vainqueur de la confrontation des corps. Le physique s'exprime ici dans toute sa plénitude, recherche l'utilisation de toutes ses capacités fonctionnelles. "Je ne vais pas habituellement au bout du mouvement" nous dit Jean- Yves Le Denmat, l'un des trois danseurs. "La cécité fait sauter mes inhibitions. C'est une découverte de l'espace interne, une sensation d'ouverture à l'intérieur". Anne- Marie Pascoli, chorégraphe, veut faire "parler la peau" dans cette pièce. Elle travaille sur l'empathie du corps qui s'écoute changer. Et envisage de travailler sur la confrontation prochaine entre un danseur aveugle et un voyant. Ce qu'elle nous a montré ici nous donne envie de la suivre ! Compagnie Pascoli, Grenoble.

Image :  Howard Butten et les Turbulents. Photo : Jean-Noël Barak, Simiane-Collongue.


Melting-potes. Prenez des malades ou handicapés mentaux, des jeunes de banlieues difficiles, des danseurs de capoeira, quelques soignants et animateurs socio-cu, ajoutez un thérapeute célèbre qui fait venir le public, mettez le tout dans un shaker, agitez bien et servez Melting Potes. Sur le plateau, une quarantaine de personnes interviennent à tour de rôle, bousculent le clown- "fil rouge" Buffo (Howard Butten), font leur numéro, qui poussant la chansonnette en Volapuk intégratif, qui dansant, qui mimant un combat. Surgit un barbu genre imam qui nous dit "la société est pourrie et tapez dans vos mains, les bourgeois sont méchants et tapez dans vos mains, nous sommes tous frères et tapez dans vos mains" ce que fait un public conquis d'avance. Du mondialisme thérapeutique. Car ce que nous voyons est le résultat scénique d'un remarquable travail : la troupe des Turbulents est principalement formée de malades mentaux soignés en hôpital de jour à Paris. Que vient y faire la Banlieue et ses problèmes ? C'est au nom "d'un brassage multi- culturel", nous dit le metteur en scène Philippe Duban, "le clown lui- même est marginalisé. Les comédiens chantent leurs bribes d'identité. Ils sont analphabètes. Tous ont 15 à 20 ans d'accompagnement thérapeutique. Nous les faisons sortir des institutions". Quel est leur devenir lorsqu'ils quittent la troupe des Turbulents ? "Ils retournent dans les institutions et les hôpitaux psychiatriques", précise Philippe Duban. No Future après une lueur d'espoir... Compagnie Turbulences, Paris.

Interview : Philippe Sivy. Cet "apprenti comédien" nous est apparu tel un fanal sur la place Pie. Immobile sur son fauteuil roulant, les traits fixes sous un maquillage blafard. Il tenait dans ses main, une levée bien haut, l'autre repliée dans le dos, des tracts que les passants prenaient au passage et qui annonçaient des travaux d'élèves autour de Richard III (Shakespeare of course). Philippe Sivy interprétait un Buckingham "minimaliste", froid, rigide. Entretien.

Image : Philippe Sivy, comédien


Le Petit Handinaute : Qu'est- ce qui vous a fait monter sur les planches ?

Philippe Sivy : C'est le cinéma, les comédies musicales qui m'ont donné envie de faire du théâtre. Adolescent, je faisais des imitations, puis j'ai suivi des cours dans une MJC en région parisienne. J'ai repris des cours à l'âge de 20 ans dans une école privée. J'avais envie d'autre chose, l'écriture et la réalisation m'intéressaient.

LPH : Comment percevez- vous votre début de carrière ?

PS : Je vais continuer mon apprentissage pour approfondir mon travail de comédien. Actuellement, je n'ai pas de rôle de prédilection, je voudrai participer à un travail d'adaptation et à la création d'une compagnie. Ma situation sociale me permet de ne pas avoir de souci financiers pour payer mes cours : je perçois une rente pour un accident du travail survenu il y a sept ans. Je ne vis pas dans l'urgence, la nécessité de travailler pour manger. L'environnement difficile de la profession n'a pas prise et je ne suis pas dans la nécessité de me raccrocher au statut d'intermittent du spectacle.

LPH : On a eu l'impression que vous étiez limité dans votre jeu de scène par le plateau, et souvent dos au public. C'était un choix du metteur en scène ou une contrainte liée au fauteuil roulant ?

PS : Le jeu de scène était limité par l'exiguïté du plateau. Mais qu'est- ce qui m'aurait fait aller en fond de scène ? On peut exprimer aussi bien dos au public. Si l'intériorité est là, le corps va vivre. Il faut chercher en soi son expressivité. Il faut aussi avoir de l'humilité pour faire ce métier, le théâtre c'est un partage sur scène. Mon but, c'est de faire oublier le fauteuil sans l'oublier moi- même : je dois l'intégrer dans ce que je fais. Je dois pouvoir proposer plusieurs choses. Je ne pense pas à l'apparence du fauteuil. Mais c'est à moi de pallier aux difficultés et aux problèmes...

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